Le Cortège des fous de Jacques Fuentealba (Malpertuis)

Le cortège des fous-Jacques FuentealbaLe Cortège des fous n’est pas un roman, mais les huit nouvelles, plus ou moins longues, qui se succèdent forment un récit polyphonique dans le temps et l’espace, depuis le règne de l’empereur Tibère à nos jours, depuis l’Olympe jusqu’en Enfer. Elles livrent une vision fragmentée de la survie des divinités païennes dans un monde désormais dominé par le Dieu unique.

Comme une sorte de prologue, Étoile du matin, sombre destin nous conte la chute du panthéon gréco-romain et la naissance de Lucifer, le Porte-Lumière, avec cette tonalité dramatique propre aux grandes trahisons.

Les quatre nouvelles suivantes racontent l’errance des divinités survivantes. Pris entre les cortèges d’anges et les légions démoniaques, ces dieux déchus traversent les siècles. Certains ont gardé leur pouvoir et la connaissance de leur chute. D’autres, vaincus, ont sombré dans l’amnésie ou se sont ralliés à Lucifer, dans l’espoir de renverser le nouveau Dieu.

Ainsi, avons-nous une première trace de leur présence en 1590, à Prague, rapportée par le peintre Arcimboldo. Dans le pendant souterrain et surnaturel de la ville (dirigé par le Dieu-Roi Vertumne dont le peintre fit un portrait si réaliste), des forces occultes sont à l’œuvre pour mener à bien un complot.

Puis, dans le Paris de 1925 d’Émile Delcroix (autre roman de Jacques Fuentealba – lire la chronique dans le PdE n°73), une ancienne divinité méconnue, franc-tireur dissimulé sous la figure d’un avaleur de sabres, poursuit ses propres objectifs et mène un jeu subtil avec Lucifer. L’originalité du texte tient à sa narration à la deuxième personne du singulier, choix qui nous place dans la confidence des informations qui seront dévoilées durant et après la rencontre entre l’avaleur de sabres et le Diable.

Le panthéon grec ne fut pas le seul à succomber devant la puissance du Dieu unique. Reconverti dans un commerce de mont-piété pour êtres mythiques, le roublard Loki voit défiler plus d’une divinité perdue qui tente de trouver sa place parmi les hommes.

Cette première partie s’achève sur un texte de fantasy urbaine (titre anglais et musique glam-rock à l’appui) qui revisite le mythe d’Orphée et Eurydice et introduit le Sunset Circus.

Ce refuge pour les anciennes divinités se trouve au centre de la longue nouvelle qui suit et donne aussi son titre au recueil. Et pour cause, Le Cortège des fous marque un tournant. Les différents camps se retrouvent au carrefour des évènements, dans l’œil du cyclone. Pour espérer vaincre les légions démoniaques, les dieux déchus doivent d’abord obtenir le soutien d’une ancienne force destructrice indomptable…

Dans Araf, la conséquence des actions du Sunset Circus risque bien de briser le statu quo entre le Paradis et l’Enfer à travers un amour capable de transpercer le voile entre les mondes.

Le recueil se termine avec Dimanche, jour du seigneur, une nouvelle qui se démarque du reste du sommaire par son ton humoristique et décalé. Certes, Dieu et le Diable luttent par serviteur interposé, mais nulle trace des anciennes divinités dans ce récit.

Le recueil dévoile un univers fascinant, construit par touches successives, enrichi d’un fourmillement de références variées (histoire, mythologie, sciences occultes…) et sur lequel plane la nostalgie des anciens dieux. Avec habileté, Jacques Fuentealba brosse leurs rêves, leurs quêtes, leurs espoirs et leur combat contre l’oubli.

En refermant le livre après cette première bataille, on regrette de ne pas pouvoir accompagner ces figures mystérieuses plus longtemps (comme l’avaleur de sabres) ou de ne pas pouvoir explorer plus longuement le Prague souterrain. Vivement la suite !

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A propos de Yoh

Fidèle lieutenant de la nef PdE depuis de nombreuses années, Yohan en est finalement devenu le capitaine durant une longue période. Il a quand même réussi à caser ses nouvelles et dessins dans Présences d'Esprits et AOC bien sûr, mais aussi dans Légendes ! et Monstres ! ainsi que pour plusieurs jeux de rôle comme Te Deum pour un massacre, Mississippi, Sunda Mizu Mura. Entre autres...

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