Compte-rendu de l’Atelier d’écriture de Lionel Davoust 2/5

Exercice 1 : scène d’action à la première personne

Le premier exercice proposé par Lionel Davoust, consistait à écrire en trois-quarts d’heure une scène de baston à la première personne se déroulant dans un lieu unique.

Les instructions

  1. Décrire en quelques phrases l’endroit. Nous considérerons que le lecteur est déjà venu et qu’on n’a pas besoin des détails. Nous n’avons que trois quarts d’heure, l’idée est de se concentrer sur l’action et pas de se rajouter la difficulté de décrire un lieu nouveau.
  2. La scène d’action doit accoucher d’un vainqueur et d’un vaincu.
  3. Pour préparer le personnage principal (celui auquel nous allons choisir d’identifier le lecteur) nous nous appuierons sur un déclencheur tiré au sort.
  4. Plus un objectif qu’une instruction : nous devrons faire attention à bien maîtriser le rythme de la scène. Alterner les passages rapides et tendus avec des passages plus lents.
  5. Éviter le « cogni-cogna ».
  6. Ne pas hésiter à faire des avances rapides et coups de zoom.

Lionel nous propose ensuite, pour nous aider, de tirer au sort quatre déclencheurs sur lesquelles nous appuyer. Il est venu avec son dé de dix et sa petite liste. J’ai donc tiré au sort :

  • Lieu : Une salle d’entraînement
  • Personnage : Un héros flamboyant
  • Arme primaire : Les poings, sans expérience (combat de chiffonniers)
  • Enjeu : Le sort d’un tiers

Et c’est parti pour quarante-cinq minutes de concentration et d’écriture. Mon problème principal a été de régler le soucis posé par le héros flamboyant qui ne sait pas se battre avec ses poings. J’ai tout d’abord pensé à camper un avocat, façon Harvey Specter de la série Suits (l’une des nombreuses séries honteuses dont je me délecte en cachette tel un diabétique boulottant un éclair au chocolat). Mais je me suis vite dit que : et d’une, personne n’aime les avocats ; et de deux, je n’avais pas envie d’écrire sur un avocat. J’ai donc élargi la réflexion.

La vraie problématique ici, était en fait de « torcher » une scène d’action efficace en quarante-cinq minutes. Je me suis donc demandé où on trouvait de telles scènes (torchées en plus ou moins une heure et super efficaces). La réponse a fusé dans mon esprit : les séries télé américaines des années 80-90 bien sûr ! Et là, j’ai vu passer devant moi une tripotée de héros de séries comme on n’en fait plus : Rick Hunter, Mat Houston, Springfellow Hawk, Michael Knight… Et Reno Raines. J’ai fait un mix de tout ça et a surgit devant moi, face au vent, non pas Bob Morane, mais… Lance Coldsteel. Le détective privé renégat, traqué par un gang de Hells Angels et le FBI.

J’avais mon héros pour l’atelier. L’action se situerait fin quatre-vingt début quatre-vingt-dix, aux States. Il y aurait des motards, des stripteaseuses, des cascadeurs en moumoute et des gros flingues… Et pas beaucoup de finesse.

Le texte ci-dessous, est le résultat des trente-cinq minutes que j’ai eues pour le rédiger. Je me suis permis de repasser dessus à tête reposée pour nettoyer tout ça. D’y intégrer certains commentaires reçus après la lecture, et d’améliorer certains passages. Par contre je n’ai pas rajouté les passages que je n’ai pas eu le temps de rédigé. J’aurai aimé que la scène soit plus longue et comporte plus de rebondissements et d’action… Je suis un laborieux, un tâcheron. J’écris lentement, et ce n’est même pas une garantie de qualité ! Là où certains de mes voisins arrivaient à sortir quatre pages fluides et maîtrisées, j’en faisais une et demie, bourrée de fautes et de répétitions… Oui je sais, il y a du niveau dans l’atelier. Qu’à cela ne tienne. On s’est quand même bien marrés à la lecture.

Le texte

Les douilles brûlantes de .45 rebondissaient sur le sol de béton aseptisé du stand de tir. Lance devait essuyer son alcôve avec la semelle des ses bottes pour poser le pied sur une surface claire. Le métal de son Desert Eagle surchauffé lui mordait la base du pouce et de l’index. Son bras était lourd. Bientôt une heure qu’il tirait tout seul, comme un maniaque, sur les ombres de papier. Il vidait son dernier chargeur. Il était déçu. La séance de tir ne l’avait pas calmé.

La silhouette noire qui voleta vers lui n’avait plus de tête. Elle traversa un nuage de poudre et se figea à cinquante centimètres de son visage. Lance fixa son regard sur le trou informe d’où s’écoulaient des volutes grises. Les bords déchirés rappelaient ceux d’un timbre poste. Il avait pris un risque en venant ici. Si les Hell’s Angels qui étaient à ses basques avaient l’idée de surveiller son stand de tir préféré, ils ne se priveraient pas pour débarquer en force. Ces animaux tenaient à leur cinq mille dollars. Ils étaient du genre à les lui faire cracher ; au sens propre.

Mais Lance n’en avait rien à foutre. En fait, depuis que Samantha s’était barrée, il n’en avait plus rien à foutre de rien.

Le privé abandonna son flingue déchargé sur le rebord devant lui. Le Desert Eagle exhalait une fumée blanche. Lance explora les poches du Perfecto accroché à sa droite, puis celles de son 501 moulant…

— Même pas une ou deux balles qui traînent pour remettre une petite rafale, grogna-t-il

Pas grave, il allait remonter à l’accueil pour chercher une nouvelle boîte de .45.

Au moment où il se retourna, un poing bagué s’écrasa sur sa joue. Déséquilibré, Lance s’affala sur le muret qui délimitait le pas de tir. Il mit deux secondes pour reprendre ses esprits. Une de plus pour ouvrir les yeux. À la quatrième, une onde de douleur explosa derrière son visage…

L’homme qui se tenait devant lui devait faire dans les cent dix kilos. C’était Biff, le bras droit du chef des Hellrisers, la bande de motards qui faisait régner le chaos dans tout le comté. Le colosse était accompagné d’Elvis et Sinatra, les deux jumeaux tarés. Leur rire, reconnaissable entre tous, résonnait à travers la pièce. Lance n’avait pas besoin de les voir pour savoir qu’ils étaient là.

Sa main tâtonna mécaniquement jusqu’à la crosse du Desert Eagle. En un éclair celui-ci était braqué sur le visage de Biff. Le cliquetis de la gâchette entrainant la butée retentit trois fois.

— Non mais tu nous prends pour des jambons, Coldsteel ? ricana la montagne de muscles. On a compté les balles.

Lance ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil au tapis de cuivre qu’il piétinait.

— Vous avez compté jusqu’à combien exactement ?
— Ferme ta gueule Coldsteel. On veut notre fric.
— Je l’ai pas, répondit le privé en crachant un glaviot de sang.
— On s’en doutait, tu sais. T’es tellement un minable. Alors, on n’est pas venus seuls.

Biff fit un signe à l’attention de ses comparses invisibles. Les rires fusèrent de plus belles. Des rires de hyènes. Les deux hommes se postèrent derrière la montagne de muscle, encadrant la silhouette arc-boutée d’une jeune femme. Lance reconnu immédiatement le corps de stripteaseuse tant de fois exploré de Samantha. Sa Samantha. La masse de ses cheveux roux collés de sueur masquait son visage, mais il reconnaîtrait cette permanente entre mille. Elle portait un collant noir, constellé de faux brillants, déchirée au niveau des genoux et des cuisses. Un de ses talons était cassé. Elle n’avait jamais été aussi belle.

— Si t’as pas le fric, connard, on va se servir sur ta nana. Biff tourna sa grosse tête rougeaude  vers la jeune fille. Tu factures la passe à combien, salope ? Avec cinq mille dollars il doit y avoir moyen de se payer pas mal de bon temps !

Sans réfléchir, Lance saisit son Perfecto et le jeta à la gueule de Biff. Le colosse ne s’y attendait pas. Aveuglé par le gros cuir, il mit deux secondes à réagir. Une de trop. Le poing de Lance s’écrasa sur la peau de bête. Celle-ci amortit l’impact sur le visage du motard sans toutefois préserver les doigts du privé qui avait frappé sans retenue. L’armoire à glace ne trembla pas.

Au jugé, Biff saisit le bras de Coldsteel et, dans un large mouvement circulaire, l’envoya valdinguer à quelques mètres hors de l’alcôve. Le privé perdit l’équilibre et s’étala aux pieds des jumeaux et de Samantha. Malgré ses entraves, la stripteaseuse  se débattait comme une lionne, empêchant Elvis et Sinatra de se jeter pleinement dans la bagarre. Ils durent se contenter de quelques coups de lattes bien sentis à destination des côtes de Coldsteel.

Ignorant la douleur, ce dernier parvint à se traîner hors de portée des jumeaux et à se relever. Il esquissa ensuite un mouvement vers le petit groupe pour libérer la jeune femme. Mais la lourde paluche de Biff s’abattit sur son épaule, la serra jusqu’à l’os et força Coldsteel à se retourner. Un déluge de mandales s’abattit sur son visage. Il ne put que lever les bras, tel un boxeur acculé, contraint d’accompagner l’avancée de son adversaire par une reculade honteuse.

Le rire gras et triomphant de Biff, qui ponctuait chacun de ses directs, se joignit à ceux d’Elvis et Sinatra. Mais Lance n’entendait, lui, que les grognements étouffés par un bâillon de sa précieuse Samantha. Un crochet à l’estomac coupa sa retraite et son souffle. Plié en deux, Coldsteel manqua de dégueuler sur les bouts ferrés de ses pompes à deux cents dollars. Biff, bras levés tel un gladiateur saluant la foule, se retourna vers ses deux comparses. Il saisit alors entre ses deux grosses mains le visage de porcelaine de la stripteaseuse et y appliqua, sa langue épaisse.

Le sang de Lance ne fit qu’un tour. Il devait sortir Samantha de ce merdier. Il amorça un pas dans la direction des motards, mais le dernier crochet l’avait cueilli au foie. Ses jambes se dérobèrent et il s’étala au sol, le souffle court. Avant de sombrer, il perçut la voix de Biff qui s’adressait aux deux jumeaux :

— Venez les gars, on s’arrache. Il a compris le message.

Puis à destination de Coldsteel :

— T’as deux jours pour trouver notre fric, connard.

Les commentaires

Alors, première remarque éliminatoire, vous l’avez tous remarqué… Le texte n’est pas à la première personne. Il est génial, soit, mais pas à la première personne. L’idée d’écrire à la première personne était de nous donner la façon de procéder la plus simple pour écrire une scène d’action (la première personne est plus facilement immersive et hargneuse je trouve) et de nous faire nous rendre compte de l’importance d’avoir un personnage fort, dont le ton découle naturellement.

Et moi, j’ai zappé la première instruction pour partir en personnage point de vue. Après, que celui qui a toujours respecté les instructions lors des ateliers d’écriture du club Présence d’Esprits me jette la première chouquette (ou tranche de cake elfique aux rillettes de canard).

« Pas de barillet sur les Desert Eagle. »

O.k. j’avoue, j’ai pas fait de recherche. Le Desert Eagle de la version écrite lors de l’atelier avait un barillet… Erreur fatale. J’ai corrigé et remplacé cette immonde boursouflure par un chargeur bien plus seyant.

« Il manque de la douleur après le premier pain. Cela permettrait de remettre de l’enjeu. »

En effet, la tournure d’origine était un peu molle. Je l’ai remplacée dans cette version par une explosion de douleur derrière son visage. J’espère qu’on la sent bien, là, la douleur qui résonne dans les sinus et à travers les os ébranlés des cavités faciales chahutées… C’est ce que Lionel appelle « rajouter du corps ». Cela s’inscrit dans la gestion du va-et-vient de la caméra entre le personnage et des plans plus larges. Le retour au corps, s’il est bien marqué (au fer rouge donc) immerge le lecteur.

« Coldsteel crache une dent ? Non mais ça va pas ? Tu prends le chemin d’une terrible déconvenue gars ! »

Après la première beigne qu’il reçoit, j’avais fait cracher à Coldsteel une de ses dents. Ça donnait un truc du genre : « blablabla dit Coldsteel en crachant un glaviot de sang et d’émaille. ». J’aimais bien la tournure. Elle résonnait avec celle, plus haut dans le texte, qui disait :

« Ces animaux tenaient à leur 5 000 $ et étaient du genre à les lui faire cracher ; au sens propre. »

L’idéal aurait été de lui faire cracher une dent en or, mais ça n’allait pas avec le personnage. Du coup, problème ! En faisant cela, je mets en place le contrat suivant avec mon lecteur : Coldsteel prend une droite, il crache une dent. Je sors du genre pulp pour entrer dans le réalisme. Le lecteur va s’attendre à ce que Coldsteel crache une dent chaque fois qu’il prend une mandale. Et par extension, les autres personnages aussi. Le roman risque de se terminer avec une tripotée de personnages berchus. Et j’ajouterai cette citation du dessinateur François Boucq: « Un héros doit avoir toutes ses dents. » Si c’est valable pour la B.D., ça doit l’être pour le pulp.

« Les jumeaux sont un peu sous-exploités et il faudrait expliquer plus tôt pourquoi ils n’interviennent pas. »

Pour ce qui est du premier point, je ne pouvais pas faire grand-chose pour cet extrait, dans le temps imparti (si ce n’est de les mettre au centre d’un prochain exercice… Spoiler alert!).

Quant au deuxième point, effectivement, la première version comportait ce défaut que j’ai corrigé sur le blog : j’ai simplement inversé deux phrase et ai commencé par dire que Samantha se débattait comme une lionne, et que du coup ils étaient occupés à la maintenir. Plutôt que l’inverse qui disait : « ils n’interviennent pas par ce que Samantha se débattait. » Cela créait une lourdeur. Cela peut sembler paradoxal, mais dans la première version, la réponse arrive en bout de phrase. Alors que dans la tournure publiée sur le blog, la réponse précède la question. Du coup, le lecteur n’a même pas le temps de se demander pourquoi. Et c’est aussi moins lourd comme tournure. Il vaut mieux dire et expliquer ensuite.

« Le coup des secondes est redondant. Tu te cites. »

Ce commentaire fait référence à deux passages pour lesquels j’ai utilisé la même combine :

« Il mit deux secondes pour reprendre ses esprits. Une de plus pour ouvrir les yeux. À la quatrième, une onde de douleur explosa derrière son visage… »
&
« Aveuglé par le gros cuir il mit deux secondes à réagir. Une de trop. »

Je l’ai laissé tel quel sur le blog afin de bien montrer l’effet redondant que cela induit. J’ai souvent ce défaut durant mes séances d’écriture. Je tombe sur une petite tournure sympa avec un effet cool et sans m’en rendre compte, je réutilise ce même effet dix ou quinze lignes plus bas. C’est vrai que ça fait un poil foutage de gueule. Surtout, cela appauvrit le style et fait lever un sourcil dubitatif au lecteur attentif ; ou au mieux, celui-ci se dit qu’il a déjà entendu ça quelque part. Dans tous les cas, l’effet tombe à l’eau. Tous les auteurs ont leurs petites manies, leurs petits effets signatures. Mais il faut éviter de les répéter de façon rapprochée. Cela donne l’impression que l’auteur se cite, et qu’il manque d’imagination…

Voilà pour le premier exercice. Le contrat n’est pas rempli dans le sens où l’instruction de base n’est pas respectée. Mais mis à part quelques panouilles, le texte tient la route. Il est porté par un personnage fort sur lequel je peux m’appuyer, et dont le ton caractéristique enveloppe la scène d’une ambiance marquée. Alors on aime ou on n’aime pas, mais si on aime, c’est dans la poche.

Un grand merci à L’OEil de Lyncée pour la correction de cet article. S’il reste des erreurs, c’est que je me suis planté en intégrant les modifications dans l’article.

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2 commentaires

  1. Merci pour ce compte-rendu fort plaisant et instructif.
    D’emblée, j’ai beaucoup aimé votre texte. Il y a certes quelques petites choses à réajuster (je ne m’y connais pas en arme et le barillet ne m’a donc pas sauté à la figure..) – j’avais remarqué, à la lecture, l’histoire des quatre secondes – mais le texte est TOP dans son ensemble.
    Le style est dynamique, le personnage attachant (quoique les motards, peut-être un peu trop stéréotypés…).

    Bref, j’ai beaucoup aimé lire ce texte, et les suggestions de correction sont assez pertinentes.
    Merci pour ce partage.

  2. Bonsoir Rebecca,
    Merci pour ce commentaire, ça fait très plaisir.

    Si tu trouves que les personnages de motards sont stéréotypés, attend de lire la suite 🙂 Ca ne s’arrange pas loin s’en faut.

    Je suis allé faire un tours sur ton blog. Très sympa aussi. Et très lisible. Ça m’a donné envie de revoir la mise en page du miens.

    J’espère que le reste de la série te plaira aussi.

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